Grotte de Lascaux, Montignac, Dordogne, vers 18 000 ans avant le présent. Lascaux est la plus belle et la plus riche des grottes ornées préhistoriques. Mais y a-t-il vraiment un art préhistorique ? Qui étaient les peintres de Lascaux ? Comment expliquer la remarquable unité de style de certains ensembles, ou bien les contradictions entre les mêmes figures traitées peut-être à des époques différentes ? Les peintures elles-mêmes ne peuvent qu’étonner et susciter des interrogations. Lascaux témoigne d’un savoir faire raffiné et d’une maîtrise qui nous renvoient à une culture beaucoup plus savante et complexe qu’on ne le pensait jusqu’à présent.
"Cratère d'Héraclès et Antée " vers 510 avant JC d' Euphronios - Musée du Louvre, Paris Né peu après l'invention de la technique des figures rouges, Euphronios exerce son métier de peintre, puis de potier, durant des années plutôt troubles, entre le début de la démocratie athénienne et la fin des guerres médiques. Cette période, sur le plan politique comme artistique, marque la fin de l'archaïsme et ouvre une époque de transition. En reprenant à leur compte la technique de la figure rouge, technique propre à la céramique et permettant une souplesse de trait bien supérieure à celle de l'incision qui caractérisait la figure noire, Euphronios et ses compagnons explorent entre 520 et 500 avant J.-C. les possibilités nouvelles du dessin au trait. Le cratère d'Héraklès et Antée décrit un fameux combat de la mythologie grecque. C'est l'une des plus belles pièces de la galerie Campana au musée du Louvre. Le style, la technique de la peinture sur céramique, les usages de ces objets recherchés par les collectionneurs dès l'antiquité sont analysés dans cet épisode de la série Palettes, exactement comme le seraient des peintures plus récentes. Euphronios, qui a signé beaucoup de ses oeuvres, a porté la qualité des décors de vases jusqu'à des sommets inégalés.
Les Fresques de la Villa des Mystères - Ier siècle - Pompéi. Découverte sous les cendres du Vésuve, la villa des Mystères doit son nom à une grande fresque recouvrant ses murs d’un rouge vermillon éclatant et d’où se détachent 29 personnages participant à des scènes énigmatiques. Cette fresque réalisée vers 70 avant JC suscite encore des interprétations nombreuses et contradictoires.
"L'Européenne" - portrait de jeune femme, peinture dite "du Fayoum" - Règne d'Hadrien, vers 117-138 av JC, Fouilles d'Antinoé, moyenne Egypte « L’Européenne » est un des plus beaux portraits funéraires retrouvés dans les sables secs de la région du Fayoum. Ces peintures de l’Egypte gréco-romaine, qui étaient accrochées aux momies embaumées, sont les seuls témoignages des techniques picturales antiques non murales.
Polyptyque de Sassetta - 1437-1444 - Métropolitan Museum of Art, New York. Stefano di Giovanni, surnommé Sassetta à partir du XVIIIe siècle, peignit ce polyptyque à Sienne entre 1437 et 1444, avant de le livrer, selon les termes de son contrat, au couvent franciscain de San Sepolcro près d'Arezzo. Le retable fut démantelé à partir de 1578, et au cours des siècles les différents fragments furent vendus et éparpillés. Vingt-six fragments sont ainsi dispersés dans dix musées comme la National Gallery de Londres, le musée des Beaux-Arts de Berlin, le musée Pouchkine de Moscou, le Metropolitan Museum de New York...
"Les Batailles de San Romano" de Paolo Uccello, vers 1435 - 1440. National Gallery, Londres ; Galleria degli Uffizi, Florence, Musée du Louvre, Paris. Uccello c'est la quête passionnée de la perspective, avec une curiosité intense pour les formes géométriques, pour la couleur et surtout pour le mouvement. Le sujet de son tableau le plus célèbre est la Bataille de San Romano dans les collines toscanes en 1432 entre les mercenaires de Florence et ceux de Sienne. Paolo Uccello en fait une fête pour les yeux et pour l'esprit et y invente des images paradoxales qui auront des suites jusque chez les peintres cubistes ou les surréalistes.
"La Flagellation" de Piero della Francesca - vers 1460- Musée national des Marches, Urbino, Italie. C'est le tableau le plus mystérieux de toute l'histoire de la peinture. Une trentaine d'hypothèses déjà ont tenté d'en découvrir le sens politique sans en venir tout à fait à bout. Mais " La Flagellation ", peinte vers 1460 par un artiste fort savant et en pleine possession de ses moyens, ne se contente pas de raconter une histoire, pour nous encore énigmatique. C'est un véritable manifeste de l'art nouveau et de la pensée de la Renaissance. Virtuose en mathématiques et en perspectives, Piero a condensé dans son tableau toutes sortes de savoirs. Il y a disposé aussi quelques pièges redoutables : pièges pour le regard, provoqués par la perspective particulière, les éclairages, les illusions d'optique, la disposition méticuleuse des architectures et du paysage ; pièges pour la pensée, tendus sous forme d'énigmes, d'emblèmes, de paradoxes mathématiques, théologiques et même philosophiques. La logique de " La Flagellation " est telle qu'on a pu parler à propos de Piero de " mystique de la mesure ". Les données mathématiques lisibles dans le tableau sont toutes si précises qu'elles permettent de simuler le rabattement auquel le peintre a eu recours et de reconstituer l'espace figuré en adoptant n'importe quel autre point de vue. Transmises à l'ordinateur, ces données chiffrées recomposent un univers virtuel semblable à celui qu'avait imaginé Piero et dévoilent les parties cachées du tableau ou bien celles que le cadre éliminait. C'est la première fois qu'un paysage et une architecture imaginaires sont ainsi reconstitués en trois dimensions, avec leurs mesures exactes, leurs éclairages, leur texture et leurs couleurs. L'exceptionnelle richesse de ce tableau a nécessité un "Palettes" de durée double.
"La Vierge au chancelier Rolin"de Jan Van Eyck -vers 1436- Musée du Louvre, Paris. Transportons-nous au 15ème siècle et imaginons l'intérieur de l'atelier du peintre Jan Van Eyck : un porteur livre un panneau de bois, un assistant passe les poudres à la meule, un autre les mélange à l'huile de lin, un troisième les dispose sur les palettes. C'est dans cet univers que Jan van Eyck a pu peindre " La Vierge au chancelier Rolin ", tableau de petites dimensions qui met en scène la Vierge Marie assise sur un coussin bleu brodé d'or, portant l'Enfant Jésus sur ses genoux, faisant face à un homme d'une soixantaine d'années qui joint les mains en un geste de prière. De nombreux indices prouvent qu'il s'agit de Nicolas Rolin, ministre des Finances, homme de politique et de culture, l'un des premiers mécènes de son temps. Grâce à l'infrarouge, nous découvrons les secrets de la toile : une bourse attachée à la ceinture du chancelier a été effacée. Rolin a sans doute fait disparaître l'objet pour dissimuler sa richesse. Composé comme un rébus, mettant en scène de nombreux figurants et déployant des espaces complexes, " La Vierge au chancelier Rolin " est un des plus beaux tableaux de Van Eyck.
Le retable d'Issenheim de Matthias Grunewald -vers 1512-1515- Musée d'Unterlinden, Colmar. D'un monument qui devait être gigantesque, avec ses cadres, ses dorures, ses statues, subsistent aujourd'hui les volets peints (11 panneaux) et plusieurs sculptures. L'oeuvre était un immense retable, recouvrant de ses quatre couches d'images grâce aux volets articulés, la statue de Saint Antoine et divers personnages dus à Nicolas de Haguenau et à d'autres sculpteurs. Dans la fascination que l'oeuvre exerce, il est difficile de faire la part entre les scènes fantastiques de la tentation de Saint Antoine proches de Jérôme Bosch, les scènes gracieuses du concert des anges ou de la Nativité, l'exubérance colorée, presque "psychédélique ", de la Résurrection, ou l'horreur expressionniste de la terrible Crucifixion.Le retable avait aussi une fonction : accompagner les malades atteints du feu de Saint Antoine, maladie dégénérative provoquée par l'ergot de seigle (accompagnée de visions hallucinatoires telles qu'en montre la Tentation) et que soignait l'ordre des Antonins.
"Anges et bourreaux", cycle de Saint Mathieu de Michelangelo Merisi, dit Le Caravage - 1600 - Eglise Saint-Louis des Français, Rome Saint-Mathieu. Le Caravage inventa une nouvelle manière de «chasser» l'obscurité qui surprendra ses contemporains avant d'être imitée de l'Espagne aux Pays-Bas.Chargé de représenter trois étapes de la vie de l'évangéliste Matthieu : la Vocation, la Visite de l'ange et le Martyre, Caravage traite les trois scènes d'une toute nouvelle manière.
"Le Repas chez Levi" de Paolo Véronèse -1573- Galleria dell'Academia, Venise. "Le Repas chez Levi " fut peint en 1573. La composition du tableau montre qu'il s'agit de la Cène, l'un des épisodes du Nouveau Testament les plus représentés par la peinture. Le Christ occupe le centre du tableau, à ses côtés les apôtres et, en second plan, serviteurs, pages et soldats. L'espace est transformé et les personnages plus nombreux que dans la Cène originale. Véronèse avait intitulé le tableau "La Dernière Cène", mais le tribunal de l'Inquisition l'obligea à modifier le contenu car il l'accusait d'irrespect envers le Christ représenté entouré d'hallebardiers ivres et de bouffons bien peu évangéliques. Véronèse ne corrigea que le titre. La symbolique du peintre : des assiettes au-dessus des têtes deviennent des auréoles ; les couleurs : le célèbre vert Véronèse qui devint nom commun ; l'histoire de la toile : on raconte qu'un moine découpa la toile en trois pour la sauver d'un incendie. Autant de mystères qu'Alain Jaubert
"La Vierge, l'enfant Jésus et Sainte Anne" vers 1510 de Léonard de Vinci - Musée du Louvre, Paris. A droite, un arbre très sombre agrippé sur la pente d'une colline. Au centre, Sainte Anne. Elle porte les cheveux tressés. Elle a les yeux baissés et sourit. Assise sur ses genoux, la Vierge Marie, vêtue d'une robe rose décolletée et bouffante. Elle se penche vers l'enfant Jésus, un bébé de deux ou trois ans. Nu, très bouclé, il est en train d'enjamber un agneau qui se cabre. Derrière, le paysage montre des pics montagneux, des glaciers d'où sortent des eaux rugissantes. Anne semble envelopper Marie. Marie entoure de ses bras Jésus, mais celui-ci s'échappe des bras de sa mère comme pour symboliser une nouvelle naissance. Peinte entre 1500 et 1515, la Vierge, l'enfant Jésus et sainte Anne vint en France avec Léonard lorsque celui-ci se rendit à Paris sur l'invitation de François 1er. Le tableau ne retourna jamais en Italie et entrera au Louvre en 1801. Depuis le 16ème siècle, de nombreux écrits et analyses sont parus sur l'oeuvre: on voulut y retrouver les prophéties, les déformations, les caricatures, les anamorphoses que Léonard affectionnait particulièrement. Même Freud essaya d'y déceler les rapports qu'entretenait Léonard de Vinci avec sa seconde mère.En disséquant le tableau jusqu'aux moindres détails, le Sourire et l'entrelacs nous raconte l'histoire de la Vierge, l'enfant Jésus et Sainte Anne comme une véritable enquête policière. C'est le peintre Valerio Adami qui a prêté sa voix aux textes de Léonard de Vinci.
"Le Concert champêtre" de Titien -vers 1509- Musée du Louvre, Paris. Giorgione ou Titien? Quelques certitudes et beaucoup de doutes. On distingue difficilement les oeuvres de Giorgione (mort en 1510 à 33 ans) et celles du jeune Titien (il mourra, lui, en 1576, très âgé). Le Concert champêtre, longtemps attribué au premier, est aujourd'hui plus volontiers donné au second. L'analyse stylistique, les analyses scientifiques, permettent de retrouver la main de l'un puis de l'autre, mais n'autorisent pas de certitudes définitives. Ce qui n'est d'ailleurs pas le plus important : les mystères de cette image ont plus fait pour la gloire du tableau que son attribution incertaine. Que représente exactement Le Concert champêtre? Pourquoi ces deux femmes nues aux côtés de deux jeunes gens habillés? Quel est le sens de leurs gestes? Quelle musique jouent-ils? Pourquoi ce paysage et ce troupeau de moutons ? Pour en comprendre l'histoire et les allusions, il faut se replonger dans la culture savante de la Venise du début du XVIe siècle. Et peut-être aussi la confronter aux interprétations plutôt contradictoires qu'en ont donné les peintres modernes comme Manet, avec sa Partie de campagne.
"Portrait de Baldassare Castiglione" de Raphaël -vers 1514-1515- Musée du Louvre, Paris. Quoi de plus évident, de plus familier, de plus banal qu'un portrait Le portrait est un genre assez récent : il naît à la Renaissance lorsqu'une nouvelle conception du monde (et aussi de la place de l'artiste dans le monde) vient remplacer la pensée médiévale. Raphaël peint l'un de ses amis, le comte Baldassare Castiglione (1478-1529), ambassadeur de divers princes italiens et auteur d'un des plus grands succès littéraires du 16ème siècle, " Le Livre du courtisan ". Le portrait frappera Rembrandt, Rubens et beaucoup d'autres jusqu'à Matisse. Raphaël s'applique à rendre le visage ouvert et sympathique de son ami et dépouille volontairement sa composition. Pourtant son image est criblée d'indices et peut se lire aujourd'hui en utilisant aussi bien les analyses classiques de laboratoire que les archives historiques. Les petits détails techniques de la surface picturale, le choix des couleurs, les symétries secrètes de l'image permettent déjà de raconter comment le tableau a été peint. Mais le vêtement, la coiffure, les matières utilisées, et jusqu'au regard du modèle ou la façon dont sont placés les reflets des yeux, tout a un sens précis dans cette composition. Et le tableau raconte une histoire qui, au-delà des chaleureux rapports d'amitié entre le peintre et son modèle, reflète toute la philosophie de l'époque.
"Les portraits d'Hélène Fourment" de Pierre Paul Rubens -vers 1636 - Musée du Louvre, Paris. Marié en 1609 à Isabelle Brandt qui lui donnera deux fils, Rubens perd sa femme en 1626. Quatre ans plus tard, âgé de 53 ans, il épouse une jeune fille de 16 ans, Hélène Fourment, qui lui survivra 33 ans. Elle avait été auparavant son modèle pour "L'Education de la Vierge" du musée d'Anvers. Elle posera par la suite pour des scènes bibliques (" Hélène Fourment en Haggar au désert ", vers 1636) ou plus simplement dans des portraits de famille chantant la gloire de l'épouse du riche peintre ambassadeur. Dans les deux portraits du Louvre (" Hélène Fourment au carrosse ", " Hélène Fourment avec ses deux enfants "), elle apparaît superbement vêtue dans toute la splendeur de sa chair opulente. Mais Rubens la fait aussi poser pour de nombreux nus qu'Hélène, devenue une veuve respectable, fera détruire. Seul tableau subsistant, " La Petite Pelisse de Vienne " où elle retient entre ses bras la cascade de ses seins généreux, permet d'imaginer ce que pouvaient être les autres nus du peintre. Une occasion de s'interroger sur les allégories de la chair à l'âge baroque.
Autoportraits de Rembrandt - 1606-1669 - Musée du Louvre, Paris. L'autoportrait est rendu possible par la diffusion du miroir de verre entre le 13ème et le 15ème siècle. Pour faire son autoportrait, le peintre doit en effet copier son reflet dans le miroir : l'image obtenue est retournée et le droitier devient gaucher. Le peintre doit donc tricher pour replacer ses instruments dans la bonne main. Masaccio, Botticelli, Dürer précèdent Rembrandt qui fait éclater le genre. Dès ses premiers tableaux, Rembrandt se met en scène. Par la suite, au moins une centaine de fois, il prendra son visage comme unique sujet de gravures, de dessins ou de peintures. Une pareille obstination, unique dans le domaine de l'histoire de l'art, a été très diversement interprétée. Certains des autoportraits de Rembrandt pourraient passer pour l'expression d'un homme extravagant. Mais les objets qui y figurent peuvent être souvent décryptés de tout autre façon. A travers toiles et panneaux, on peut certes suivre toute l'histoire du visage de Rembrandt, mais aussi lire la symbolique d'une Europe humaniste en pleine mutation. .
"L'Astronome" de Jan Vermeer - 1668 - Musée du Louvre, Paris. Dans l'angle d'une pièce, une lumière filtrée par une fenêtre à petits carreaux éclaire le visage d'un homme qui se penche sur un globe céleste où sont dessinés des constellations et les signes du Zodiaque. Derrière lui, un tableau qui a été identifié comme " Moïse sauvé des eaux " est accroché au mur. Devant lui un compas, un astrolabe et un livre, qui se trouve être le traité d'Adrien Meltius sur l'observation des étoiles, sont disposés sur la table de travail. Ce tableau, peint en 1668 par Vermeer, a un précédent, le " Docteur Faust " de Rembrandt qui, comme " L'Astronome ", semble recevoir la révélation de la lumière. Il a aussi un frère jumeau : " Le Géographe ". Pour passer de " L'Astronome " au " Géographe ", il suffit de changer l'axe de la caméra et de modifier légèrement la lumière. Les mêmes objets sont présents, le personnage est dans la même situation. Et si l'on plonge encore dans l'oeuvre de Vermeer avec " La Laitière " ou " La Femme à la balance ", on reconnaît toujours ces scènes d'intérieur énigmatiques et ces personnages sortis de l'univers du peintre. La caractéristique fondamentale de l'oeuvre de Vermeer est l'assimilation de la perspective à une vision photographique. Tout mène à penser que Vermeer eut recours à la " camera oscura " pour obtenir les grandes lignes et les perspectives de ses toiles, mais l'utilisation de cet ancêtre de l'appareil photographique n'est qu'une des facettes de la peinture de Vermeer qui nous sont contées ici.
"Le Tricheur à l'as de carreau" de Georges de La Tour - 1635 - Musée du Louvre, Paris. Trois cartes en main, de l'or, nous sommes au milieu d'une partie de prime, un ancêtre du poker. Huit pièces d'or devant la joueuse, une douzaine devant le jeune homme, on joue très gros. Ce tableau met en scène trois joueurs de cartes et une servante, les bouches sont closes, les gestes et les regards suspendus. Le tricheur regarde le spectateur, un as de carreau dissimulé dans sa ceinture, seul son visage est en pleine lumière. Ses cartes de carreau annoncent argent et commerce sexuel, alors que celles de son adversaire, des cartes de pique, le malheur et la lutte contre le destin. A l'époque de de La Tour, plusieurs édits furent lancés contre les pipeurs de dés et les fraudeurs. Cette toile, comme celle de "La Diseuse de bonne aventure", est l'illustration d'une sentence très courante à l'époque : "L'amour, le vin et le jeu ont perdu plus d'un homme". Restée dans l'ombre pendant plus de deux siècles, l'oeuvre de Georges de La Tour fut longtemps attribuée à d'autres. C'est en 1915, grâce à un critique allemand, que l'on découvrit réellement le peintre. Si certains croient que "Le Tricheur" est un faux, " c'est peut-être parce qu'il s'agit d'une image improbable, excessive. Trop de couleur, trop de lumière, trop de romanesque ", conclut Alain Jaubert.
"Port de mer au soleil couchant" de Claude Gellée, dit Le Lorrain - 1639. Un port éclairé par le soleil couchant dans une ville de style italien. Sur la gauche, un petit temple surmonté d'une horloge au fronton triangulaire. Au second plan, une grande villa Renaissance surmontée de quatre tours d'angle. Sur la droite, à l'abri du fortin, un grand bassin montre une rangée de tartanes. Au premier plan, une grève où deux navires sont au mouillage. Partout autour du port, des personnages déambulent, se rassemblent, discutent. Haut placé, le point de vision suppose un spectateur se tenant au-dessus de la scène. Un effet de perspective est obtenu par la convergence des lignes vers une zone proche du centre. Couleurs, espacement des objets, éclairage rasant et perspectives des architectures, tout concourt à produire une puissante illusion de profondeur. Le soleil bas engendre de nombreuses combinaisons de couleurs et transforme les rapports entre les teintes habituelles des objets. Claude Gellée, dit Le Lorrain, peignait en superposant de nombreux glacis jusqu'à l'obtention de tons pâles ou opalescents caractéristiques de l'éclairage crépusculaire. Après lui, les peintres oseront enfin regarder le soleil en face. Turner puis les impressionnistes en feront le thème central de leurs tableaux. A l'aide de la palette graphique et des trucages vidéo, Alain Jaubert nous dévoile tous les dessous de la toile, son histoire, les intentions du peintre et les moyens techniques employés.
"Les Quatre Saisons" de Nicolas Poussin - 1660-1664 - Musée du Louvre, Paris. Au cours de ses dernières années à Rome, Nicolas Poussin exécute pour le duc de Richelieu 4 tableaux évoquant les saisons. Considérée comme le testament pictural du peintre, cette série est l'aboutissement d'un art techniquement maîtrisé, véritable synthèse de tous les éléments du style tardif de l'artiste, mais où pointent les symptômes de l'âge et de la maladie, visibles dans la touche tremblée et minuscule. Fidèle au chromatisme des Vénitiens, Poussin module des jeux de couleur surprenants, en rapport étroit avec le sens de chaque tableau. "Les Quatre Saisons", ce sont aussi les 4 phases de la Rédemption, les 4 parties de la journée, les 4 âges de l'histoire des hommes et surtout 4 épisodes de la Bible. Les différentes interprétations thématiques de cette suite révèlent une étroite synthèse entre le récit biblique et la mythologie classique. Poussin résume tout son savoir de peintre et laisse éclater une sorte de panthéisme virgilien.
"Le Pèlerinage à l'île de Cythère" d'Antoine Watteau -1717- Musée du Louvre, Paris. Avec "La Joconde", "Le Concert Champêtre" ou "Les Noces de Cana", ce tableau de Watteau est une des gloires du Musée du Louvre. Vanté par Vivant-Denon, Baudelaire, Nerval, Gautier, Verlaine, Michelet, Rodin, Proust, copié par d'innombrables peintres, sans cesse commenté, il est à la fois une légende et une utopie. Peint par Watteau en 1717, répété sous une forme légèrement différente un peu plus tard (cette seconde version est au château de Charlottenberg à Berlin), " Le Pèlerinage à l'île de Cythère " appartient au cycle des " Conversations galantes " dans lequel le peintre de Valenciennes a donné le meilleur de lui-même. Tableau mystérieux (que font-ils ? où vont-ils ?), il suscite un grand nombre de questions et des réponses tout aussi variées.
"La Raie" de Jean-Baptiste Siméon Chardin -1728- Musée du Louvre, Paris. Peinte à la manière hollandaise, " La Raie " nous plonge dans la vie silencieuse des objets les plus familiers que l'artiste s'est plu à représenter dans un certain nombre de ses tableaux. La recherche de l'emplacement exact, dans la composition, de chaque instrument de cuisine, de chaque fruit, était un long et méticuleux travail par lequel Chardin, au-delà de l'unité spatiale et chromatique, donnait une portée symbolique ou historique à son oeuvre. La rigueur de la composition n'exclut pas un traitement par touches " raboteuses ". L'ordonnancement régulier des objets va de pair avec une " inquiétante étrangeté " qui a fasciné Diderot, Proust et bien d'autre auteurs. Aujourd'hui encore, au Louvre, c'est l'une des oeuvres qui attirent le plus grand nombre de visiteurs. Avec ce film, Alain Jaubert propose de s'interroger sur les sources secrètes de cette fascination.
"Le Verrou" de Jean-Honoré Fragonard -vers 1775-1777- Musée du Louvre, Paris. Le tableau, diffusé sous forme de gravure, était fort célèbre à la fin du XVIIIe siècle, alors que l'original avait disparu. Retrouvé au 19ème siècle, "Le Verrou" a fait l'objet de nombreuses polémiques : pour certains, il ne serait pas de la main de Jean-Honoré Fragonard, pour d'autres, il représenterait au contraire une rupture stylistique dans l'oeuvre du peintre. Une image d'apparence banale, au propos fort explicite, peut être porteuse de beaucoup d'arrière-pensées troubles. Le plus étrange n'est-il pas que ce tableau aurait été peint pour faire pendant à une scène religieuse ? Cette ultime variation sur l'opposition entre amour sacré et amour profane clôt plusieurs siècles de peinture religieuse et ouvre une ère nouvelle : l'érotisme n'est plus l'apanage des dieux antiques, mais il est partagé, ici et maintenant, dans le décor le plus quotidien. La chambre à coucher et le lit deviennent avec Fragonard les décors d'un théâtre fantastique où les accessoires - lingeries, coussins, tentures - redessinent, en marge de l'action, les plis et les creux métaphoriques d'une nouvelle géographie amoureuse.
"La Vague" de Katsushika Hokusai - vers 1831 - Musée Guimet et Bibliothèque Nationale de France, Paris. La silhouette d’une vague géante s’aprêtant à engloutir de fragiles barques : cette image du destin suspendu a fait le tour du monde sous forme de carte postale, d’affiche, de publicité. Pourquoi un tel succès ? Comment une image aussi liée à une culture - celle des estampes japonaises - a-t-elle pu acquérir une telle universalité ?
"Le mont Jingting en automne", de Zhu Ruoji dit Shitao - 1671 - Musée national des arts asiatiques Guimet, Paris. Descendant de la dynastie Ming, impregné de spiritualité boudhiste, Shitao fût l’un des peintres les plus habiles de son temps. Indissociable de l’écriture, sa peinture utilise la simplicité du trait, le blanc pur du papier. Ce paysage de montagne est peint à l’encre de Chine sur du papier collé sur un rouleau de soie. Sous l’apparente simplicité du thème se déploie tout un univers de correspondances secrètes, d’allusions et de figures cachées qu’il faut apprendre à déchiffrer.
"Les jardins du paradis". Khamseh ou «les cinq livres» de Nezâmi, XIe siècle. Manuscrit persan. Ispahan, 1619-1624. Bibliothèque nationale de France, Paris. De l’école de Bagdad (XIVe siècle) à l’école Qadjar (XIXe siècle), la peinture persane est restée d’une étonnante vitalité. Art de cour s’appliquant surtout à l’illustration livresque, il a connu ses écoles et ses grands maîtres. Le film est centré sur l’une des plus belles pièces conservées à la B.N.F, un recueil des Cinq poèmes du grand poète persan du XIIe siècle, Nezâmî. Cette copie, du caligraphe Abd al Djabbâr, illustrée par le peintre Haydar Qoli Naqqâsh, date des années 1620-1624. L’exploration des techniques de fabrication, de mise en page, de calligraphie, de dessin, de peinture, est l’occasion de découvrir une civilisation fascinante.
"Les Sabines" de Jacques Louis David -1799- Musée du Louvre, Paris. "Les Sabines", un des tableaux vedettes du Louvre, est une image complexe d'une composition vertigineuse et si pleine de sous-entendus qu'elle en devient une métaphore sur le regard du spectateur, à la limite du fantastique. Août 1794. David a 46 ans. Il est en prison et risque la guillotine. Il lit les auteurs classiques. Un épisode de la fondation de Rome lui inspire l'idée d'un tableau. Libéré, il retrouve atelier, élèves et célébrités d'antan. Le tableau ne verra le jour qu'en 1799.Montrée dans le cadre d'une exposition payante, première tentative de ce genre en France, la toile géante attirera une foule considérable. La scène montre le moment où les Sabines, épouses des Romains à la suite d'un enlèvement, s'interposent entre Romains et Sabins et font cesser la guerre des deux peuples. David fait entrer dans son tableau non seulement toute sa passion de l'antiquité romaine, mais encore une bonne part d'allégorie politique.
"Le radeau de la Méduse" de Théodore Géricault -1819 - Musée du Louvre, Paris. L'un des plus grands tableaux du Louvre (près de 5 mètres sur plus de 7) et aussi l'un des plus fameux (il est entré dans les collections dès la mort de l'artiste). Cette fidèle reconstitution d'un fait divers exceptionnel fit scandale au Salon de 1819 où il était exposé sous le titre "Scène de naufrage". Le fait divers aux résonnances macabres, l'épopée de la réalisation de la toile géante, la personnalité du peintre, les nombreuses images condensées en une seule toile, les mésaventures de la couche picturale qui continue à tuer lentement son tableau, autant d'éléments d'une enquête où les instruments vidéographiques servent un scénario passionnant.
"Les Jeunes" vers 1812 et "les Vieilles" vers 1810 de Francisco Goya - Musée des Beaux-arts, Lille. Deux tableaux de même dimension et toujours restés ensemble. Sont-ils pour autant des pendants ? Si l'enquête historique ne permet pas de trancher définitivement, plusieurs indices autorisent cependant à le penser. Dans " Les Jeunes ", Goya montre une " maja " et sa servante dans une scène de rue qui semble appartenir à la tradition littéraire européenne. Dans " Les Vieilles ", il montre une vieille coquette et sa servante, mais il utilise le langage de la caricature. La flèche de diamants que porte la coquette est un indice qui permet d'interpréter ces deux tableaux qui n'étaient destinés à aucun commanditaire, mais faisaient partie de la collection personnelle du peintre. L'ensemble forme une sorte de fable sur la destinée, celle de l'Espagne ravagée par les guerres napoléoniennes, celle du peintre vieilli et désabusé mais qui puise un regain d'énergie dans un nouvel amour.
"La Liberté guidant le peuple" d'Eugène Delacroix -1830 - Musée du Louvre, Paris. Le 26 juillet 1830, Charles X suspend la liberté de la presse, dissout la Chambre et modifie les systèmes électoraux. Trois journées d'émeutes s'ensuivent. Alors âgé de 33 ans, déjà célèbre, Eugène Delacroix assiste aux combats et s'inspire des " Trois Glorieuses " pour réaliser son tableau " La Liberté guidant le peuple ". Présentée au Salon de 1831, l'oeuvre suscite une polémique. Cette femme armée, femme-messie, un drapeau dans une main, une baïonnette dans l'autre, qui dénude sa poitrine au-dessus du charnier, choque. La nudité obéissait alors à des normes précises. Trop sale, pas assez belle, les critiques reprochent à la Liberté de Delacroix son excès de réalisme. Si le traitement prête à controverse, le sujet, qui met en scène le peuple en armes triomphant, va entraîner la toile dans de multiples pérégrinations. Elle ne retrouvera sa place au Louvre qu'en 1874, bien après la mort du peintre. Le tableau est en effet entièrement situé sous le signe de la liberté. Le bleu, blanc, rouge du ciel, de la cocarde, des drapeaux, et le bonnet phrygien évoquent le souvenir de 1789. En fond, Notre-Dame de Paris symbolise la spontanéité populaire. La foule, où l'on distingue un gavroche, un artisan, un polytechnicien et son bicorne, offre un condensé allégorique de la révolte du peuple. Dans la partie supérieure du tableau, les vivants triomphant dans des teintes claires s'apprêtent à franchir l'espace des morts, enfouis dans l'ombre. A la frontière des deux mondes, les blessés. Toujours selon le principe de cette émission, Alain Jaubert débusque les détails, interprète les symboles, analyse la composition du tableau. Des informations précieuses qui permettent de donner son sens à l'oeuvre et d'en apprécier la beauté.
"Le Bain Turc" de Jean-Auguste-Dominique Ingres, 1859-1863 - Musée du Louvre, Paris. Parvenu au terme de sa carrière, Ingres rassemble dans une toile amoureusement préparée 25 femmes nues. Certaines évoquent des femmes de sa vie. D'autres sont inspirées par des gravures que le peintre collectionnait et qu'il reprenait régulièrement pour ses tableaux. De la Grande Odalisque au Bain turc , c'est une même fascination de l'Orient où pourtant le peintre ne voyagea jamais. Dernière étape du rêve, Le Bain turc a commencé par être une toile rectangulaire. Il a été ensuite plusieurs fois redécoupé par Ingres avant de devenir un "tondo", un tableau circulaire dans la tradition de la peinture religieuse classique. L'examen des archives abondantes du peintre à Montauban et l'analyse en laboratoire permettent aujourd'hui de reconstruire l'histoire d'un tableau qui suscita autant la fascination - par exemple chez Picasso ou Man Ray - que la répulsion. Paul Claudel voyait dans Le Bain turc "une galette d'asticots".
"Un enterrement à Ornans" de Gustave Courbet -1851- Musée d'Orsay, Paris. "Un enterrement à Ornans" est exposé au Salon en 1851. Le tableau fait scandale, et pourtant il n'est que la représentation d'une simple cérémonie funéraire. La scène, traitée sur une toile de 7 mètres de long, ne montre que des gens ordinaires, des habitants d'Ornans, le village natal du peintre. Dans cette procession massive et frontale, tous peuvent se reconnaître. Le " réalisme " de Courbet n'est pas une simple reproduction photographique du réel, mais une véritable expérience métaphysique du regard et de la perception, une nouvelle façon d'impliquer le spectateur dans un jeu de miroir subtil. Sous son apparence brute et simple, " Un enterrement à Ornans " est une oeuvre aux implications symboliques et plastiques secrètes, une oeuvre très complexe qui n'a pas fini de nous surprendre.
"Olympia" d'Edouard Manet - 1865 - Musée d'orsay, Paris. En 1865, scandale au Salon. Edouard Manet montre une transposition moderne de la Vénus d'Urbin de Titien. C'est une fille nue et pâle étendue avec indifférence sur un divan." Qu'est-ce que cette odalisque au ventre jaune, ignoble modèle ramassé je ne sais où et qui représente Olympia ? ". " La foule se presse comme à la morgue devant Olympia faisandée de M.Manet. " Elle, c'est Victorine Meurent, un des modèles préférés du peintre. Elle a posé pour Le Déjeuner sur l'herbe, pour La Femme au perroquet, comme elle posera dix ans plus tard pour Le Chemin de fer. Placide, plastique, modèle paisible mais femme libre et indépendante. Le tableau est une sorte d'hommage au traditionnel modèle d'atelier qui hante les désirs des peintres depuis la Renaissance. C'est aussi une provocation moderniste. Les références, les allusions mythologiques et classiques sont mises au service d'une scène contemporaine d'autant plus scandaleuse qu'elle évoque indiscutablement la maison close. Sept ans après la mort de Manet, à la tête du groupe de peintres, Claude Monet lui-même lancera une souscription pour acheter le tableau et l'offrir à l'Etat. Olympia continuera longtemps à obséder les peintres. Et jusqu'à Larry Rivers qui en donne en 1970 une version " nègre " (Centre Georges Pompidou).
"Bal du Moulin de la Galette" de Pierre-Auguste Renoir -1876 - Musée d'Orsay, Paris. Un bal populaire à l'enseigne des moulins de la butte Montmartre. Une joyeuse foule d'un dimanche de l'été 1876. Il n'en fallait pas plus à Renoir pour faire de son tableau un manifeste de la nouvelle peinture impressionniste. Mais la folie n'est pas qu'une symphonie de bleus comme l'ont souligné avec animosité les critiques de l'époque. Son déchiffrage, d'abord difficile, entraîne bien des découvertes. Gamme de pigments resserrés mais donnant une série de nuances très riches, art savant de la fusion des touches, brouillage de la perspective traditionnelle, jeu complexe des formes entremêlées, mise en scène des corps et des regards, le "Bal du Moulin de la Galette" est bien plus savant qu'il n'y paraît. Et Renoir, héritier des fêtes galantes de Watteau, poursuit à travers son tableau un rêve de gamin de Paris qui s'oppose aux visions plus cyniques de Degas ou de Manet.
"Le Bassin aux nymphéas" de Claude Monet - 1895-1926 - Musée d'Orsay, Paris. En achetant sa maison de Giverny en 1883, Claude Monet inventait du même coup un des dispositifs picturaux les plus originaux de toute l'histoire de la peinture. Le jardin, ses allées, ses dépendances, la campagne environnante, tout le paysage devenait peu à peu un gigantesque canevas pour les recherches du peintre. Inauguré avec les paysages de la Creuse, puis avec la cathédrale de Rouen, le principe de la série est poursuivi avec les peupliers des bords de l'Epte, avec les meules, avec le bassin aux nymphéas et le pont japonais. Ce numéro analyse les cinquante-quatre toiles de la série des Bassins aux nymphéas, commencée par Monet en 1895 et poursuivie jusqu'à la mort du peintre en 1926. L'étude minutieuse de leur structure montre que l'apparente spontanéité de ces toiles est en fait le fruit d'un travail extrêmement complexe. La notion de série, telle que la renouvelle Monet, ensemencera tout l'art moderne.
"Un dimanche après-midi à la Grande Jatte" de Georges Seurat - 1884-1886 - Art Institute, Chicago. En mars 1886 a lieu la 8ème et dernière exposition des impressionnistes. Un inconnu de 26 ans, Georges Seurat, expose une toile de très grande taille, "Un dimanche après-midi à la Grande Jatte". Une lumière étonnante, fruit d'une longue réflexion sur les origines de la sensation colorée, un fourmillement de petites taches, un paysage traité de façon classique mais peuplé de personnages caricaturaux : la toile fait un peu scandale. Elle provoquera la naissance d'un groupe, les néo-impressionnistes, ou plus vulgairement les " pointillistes ". Elle marquera surtout toutes les générations ultérieures : fauves, cubistes, futuristes. Van Gogh lui-même est fasciné et, au cours des quatre dernières années de sa brève carrière, restera profondément marqué par les découvertes de Seurat.
"Décoration pour la baraque de La Goulue" de Henri de Toulouse Lautrec -1895- Musée d'Orsay, Paris. La Goulue, célèbre danseuse de cancan au Moulin-Rouge, reine du Paris nocturne de la Belle Epoque, a quelque peu déchu. Elle se produit désormais à la Foire du Trône. Elle commande à son ami Toulouse-Lautrec 2 panneaux pour décorer sa baraque. Les deux plus grandes toiles réalisées par le peintre auront un destin rocambolesque. Revendues, découpées en morceaux par un marchand indélicat, elles seront recomposées en 1929, peu de temps après la mort de La Goulue. Comme Manet et Degas, le peintre utilise la technique de la peinture à l'essence : les pigments, privés d'huile, sont très mats, mais en même temps beaucoup plus fragiles. Les toiles, aujourd'hui assez ruinées, ont perdu de leur splendeur d'origine, mais continuent à mettre en scène une brochette de personnages qui, à l'instar des dieux de l'Olympe et de la peinture classique, sont devenus de véritables êtres légendaires d'une " Belle Epoque " qui, on s'en doute, ne fut pas si belle que cela...
"Les Jardins publics" d'Edouard Vuillard, 1874 - Musée d'Orsay, Paris. Peintre laissé un peu en marge par les historiens, Edouard Vuillard est en train de retrouver une place de tout premier plan dans l'histoire de l'art moderne. Ce film s'intéresse plus particulièrement aux " Jardins publics ", série de neuf panneaux peints en 1874. Cinq panneaux sont aujourd'hui au musée d'Orsay. Trois autres sont dispersés dans d'autres musées. Le neuvième a disparu. Sous l'apparente simplicité des thèmes - des femmes et des enfants dans un grand jardin public -, une multitude d'énigmes historiques, techniques, plastiques. Les outils vidéo permettent d'en élucider quelques-unes et même de recomposer dans ses formes et ses couleurs le panneau disparu pendant la Seconde Guerre mondiale. Et le déchiffrement d'une toile de Vuillard plonge le spectateur dans une curieuse aventure pleine de rebondissements.
"Arearea" de Paul Gauguin -1892- Musée d'Orsay, Paris. Gauguin a été marin puis agent de change à la Bourse. Époux d'une jeune Danoise, Mette Gad, il devient père de famille. Et il peint. Pour atteindre sa "poésie des tons", il bourlingue en Bretagne, à Panama et en Martinique, "terres des libertés primitives". Toujours à la recherche d'êtres pas encore "gâtés par le progrès" et empreints d'une "religiosité archaïque", il donnera le meilleur de sa peinture en Polynésie. Le tableau Arerea ("Amusements") a été peint lors de son premier séjour à Tahiti. Le chien rouge avait particulièrement intrigué lors de l'exposition chez Durand-Ruel en 1893.
"La Chambre d' Arles" de Vincent Van Gogh -1888 et 1889- Musée d'Orsay, Paris. En octobre 1888, Vincent Van Gogh, qui est installé depuis huit mois en Arles, peint sa chambre. Un an après, alors qu'il se trouve interné à l'hospice Saint-Paul-de-Mausole, près de Saint-Rémy, il éprouve le besoin de faire deux copies de ce tableau qu'il aime particulièrement. Cette image, fameuse parce que tellement reproduite sous tant de formes graphiques différentes, a beaucoup compté pour le peintre. Elle est volontairement simple, et pourtant elle apparaît comme fort étrange. Vincent voulait y voir le symbole du repos, mais les objets semblent fuir et l'espace se déformer. De nombreuses gloses ont été écrites à propos de " La Chambre à Arles " et de quelques autres tableaux " bizarres " de Van Gogh : certains auteurs s'en sont servis pour arguer de la folie du peintre. La chambre proprement dite a été détruite pendant les bombardements de 1945. Mais si le peintre avait raison ? Si c'était l'espace lui-même qui était fou ? Une enquête serrée a permis de retrouver tous les éléments du dossier et de reconstituer exactement la chambre d'Arles. Vincent l'a peinte en fait avec la précision des anciens maîtres hollandais, qui le fascinaient. Mais en y apportant l'extraordinaire invention de sa touche et de sa nouvelle palette. Cet automne-là, entre " Les Tournesols ", " Les Moissons " et " La Chambre d'Arles ", Vincent avait atteint la haute note jaune.
"La Montagne Sainte-Victoire" de Paul Cézanne (1870-1906) - Musée d'Orsay, Paris. Né à Aix-en-Provence, Cézanne, après quelques voyages, revient s'y installer. Il n'en bougera plus guère, passant ses journées à peindre en atelier ou en plein air. D'un paysage prisé jadis par les peintres locaux, la toute proche montagne Sainte-Victoire, il fait son motif. Il traitera la montagne de différents points de vue, dans différents styles et en toute saison, plus d'une soixantaine de fois. Pour Cézanne, la peinture est une patiente élaboration à la recherche d'une harmonie secrète qui lie toutes les autres. Chaque touche est un enjeu, remettant en cause toutes les autres.
"Crucifixion" de Pablo Picasso -1930- Musée Picasso, Paris. "La Crucifixion" est un tableau assez surprenant dans l'oeuvre de Picasso. Le peintre a en effet fort peu traité de thèmes religieux. Et, au-delà d'une représentation classique du Calvaire, il met en scène bien des personnages étranges. Le sacrifice devient une sorte de cérémonie initiatique ou d'exorcisme. La palette utilisée par Picasso est inhabituelle : des rouges, des jaunes, des verts crus composent un ensemble de formes entremêlées aux contrastes violents. La palette graphique et les trucages vidéo, une fois de plus, facilitent la lecture. L'oeuvre, composée comme une sorte de rébus, concentre une multitude d'allusions et fait aussi référence à la crise profonde que traverse Picasso à cette époque. La vie privée, l'intimité rejoignent le drame universel.
"L'Atelier au mimosa" de Pierre Bonnard -1939-1946- Centre Georges-Pompidou, Paris. Format carré, parcouru des rythmes de ses multiples obliques (le châssis de la verrière, la rembarde du premier plan), éclatant de couleurs flamboyantes (bleu d'outremer, vert émaraude, orange, rose, et le jaune vif du mimosa), L'Atelier est une des dernières grandes oeuvres de Bonnard (mort en 1947). C'est aussi un de ses absolus chefs d'oeuvre, à la fois magnifique et énigmatique et qui mérite à lui seul une analyse détaillé. Le tableau doit être mis en relation avec tous ceux que Bonnard peint entre 1927 et 1947 dans sa petite maison du Cannet : de perpétuelles fêtes de la couleur et de la lumière, l'opposition répétée entre extérieur et intérieur, des moments de méditation pure et silencieuse. Chaque coin de jardin et chaque pièce de la maison -chambre, cuisine, salle de bains, petit salon, atelier- est source de cadrages savants et de combinaisons mystèrieuses de couleurs. Toute une aventure picturale qui rappelle celle de Monet à Giverny, est menée là en vingt ans et sur plus de 200 peintures. Les nombreuse photos d'Henri Cartier Bresson montrant le peintre au travail, les lieux aujourd'hui préservés, les objets (assiette-palette, pinceaux, couleurs), les carnets seront montrés en contrepoint de ces analyses.
"La Tristesse du roi" d'Henri Matisse -1952- Centre Georges Pompidou, Paris. Composé à Nice, à l'hôtel Régina où le peintre est installé depuis 1949, "La Tristesse du roi", tableau de près de 4 mètres sur 3, est une des dernières grandes oeuvres de Matisse. Le tableau a été réalisé selon la technique des papiers découpés : le peintre, immobilisé par la maladie, découpe les formes sur des feuilles auparavant gouachées. Il dirige une assistante qui les épingle et les déplace sur le mur jusqu'à trouver l'équilibre souhaité. Les ciseaux, maniés avec dextérité, remplacent donc désormais crayons et pinceaux. Les tons purs utilisés pour la composition éliminent tout modelé et permettent au peintre de ne jouer que sur les rapports entre les couleurs et surtout sur les contrastes : blanc-noir considérées par Matisse comme des couleurs à part entière, rouge-vert, bleu-jaune, etc. Le titre quelque peu énigmatique a de quoi surprendre chez le peintre de la joie de vivre, du bonheur et de la volupté. Peut-être fait-il référence à un épisode biblique, déjà illustré par Rembrandt, ou bien à un poème de Baudelaire, "La Vie antérieure". Mais c'est aussi une sorte d'autoportrait : le vieil homme se peint en musicien, au milieu de ce qui a toujours été l'essentiel de sa vie et de sa peinture: la danse, la musique, les fleurs, les couleurs. Et le tableau, qui renvoie par ses formes et par ses teintes à bien des oeuvres peintes des dizaines d'années auparavant, est aussi en résonance avec tous les autres papiers gouachés et découpés dont Matisse couvre ses murs en ces années-là. Les formes découpées, exubérantes, évolutives dont Matisse s'entoure ont été fixées par les nombreuses photographies faites à cette époque. Les films méconnus ou récemment retrouvés permettent aussi de découvrir les gestes du peintre ou de ses assistantes.
"Nu descendant l'escalier" de Marcel Duchamp -1913- Philadelphia Museum of Art. Le "Nu descendant l'escalier" peint par Marcel Duchamp en 1912 est, avec "Les Demoiselles d'Avignon" de Picasso, le tableau emblématique de la révolution picturale du XXe siècle. Cubiste tout en se démarquant du cubisme, humoristique par son titre paradoxal, mais sérieux, presque scientifique, par ses formes et sa manière picturale, le" Nu " a rendu aussitôt son auteur célèbre. Pourtant, malgré le renom mondial du tableau, il a beaucoup moins intéressé les critiques et les historiens. Alors que des milliers de pages ont été écrites sur "Le Grand Verre", le "Nu", peut-être parce que son titre semblait tout résumer, n'a suscité que quelques lignes de commentaires ici ou là. Le vingt-quatrième film de la série Palettes est donc la première monographie consacrée au tableau. Si l'on oublie le titre, que représente exactement cette image ? Jusqu'où peut-on aller dans l'analyse et la symbolique d'une pareille oeuvre ? Une fois de plus, l'enquête sur images et textes ainsi que les outils vidéographiques nous entraînent vers d'étonnantes découvertes.
"Anthropométrie de l'époque bleue" de Yves Klein -1960- Centre Georges Pompidou, Paris. Epoque bleue, traces bleues, éponge bleue. Yves Klein avait bien mérité son surnom d' " Yves le monochrom". Même s'il a employé bien d'autres couleurs, c'est celle de l'azur qu'il a surtout choisie, utilisée à maintes reprises et dont il a fait, plus encore qu'un mode d'expression, une sorte d'énergie spirituelle. Klein a eu l'idée d'utiliser directement les corps nus de ses modèles comme " pinceaux vivants ", inventant par ses séances étranges, entre rituel et strip-tease, tout un catalogue de formes nouvelles. En même temps, de façon intuitive presque naïve, il a reparcouru à la fois l'histoire des images légendaires, celle des bizarreries de la nature et la noble histoire du nu en peinture. Les "Anthropométries" sont en même temps une méditation sur l'empreinte, la trace, la disparition et des variations colorées sur le thème de l'incarnation.
"Ten Lizes" d'Andy Warhol - 1963 - Centre Georges Pompidou, Paris. Pourquoi les images de Warhol fascinent-elles autant ? Palettes analyse un tableau géant dont l'histoire secrète et les implications sont plutôt étonnantes. Dix visages semblables sont imprimés en noir, en deux rangées, sur une grande toile de 5, 65m de long sur 2 mètres de haut. Semblables, ces visages ? Pas tout à fait : le spectateur peut y distinguer de multiples petites différences, comme les variations dues au hasard d'un même moule. Il peut y reconnaître aussi le visage d'une actrice célèbre, Elizabeth Taylor, c'est à dire "Liz". Andy Warhol (Pittsburgh, 1928-New York, 1987) a composé cette image en 1963 en partant d'une photo de la star et en la répétant dix fois grâce à un écran de sérigraphie. Pourquoi ce visage ? Pourquoi cette répétition ? Warhol livre difficilement ses clés. "Je n'ai jamais voulu être peintre", dit-il. "Je voulais être danseur de claquettes". Devenu peintre par hasard, il semble choisir arbitrairement ses motifs. Travaillant à New York, dans les années soixante, au coeur du mouvement "pop art", serait-il une sorte de reflet négatif de la société de consommation ? Une telle image, qui semble rompre avec l'art traditionnel du portrait, peut cependant se déchiffrer aussi bien qu'un tableau plus ancien.
"Trois personnages dans une pièce" 1964 de Francis Bacon - Centre Georges Pompidou, Paris. Pourquoi l'horreur fascine-t-elle ? Comment violence ou mort peuvent-elles être conjurées par la beauté plastique ?Alain Jaubert enquête sur le sens de cette fascination et nous entraîne dans l'atelier de Bacon à Londres. Comment montrer le drame humain sans le raconter ? Voici l'une des questions que Francis Bacon n'a cessé de se poser, au travers de toiles qui ont toujours une emprise violente sur le spectateur. L'atelier de Francis Bacon est un spectaculaire chaos d'objets et d'images qui contraste vivement avec l'ordre qui règne dans ses tableaux. Là sont peut-être les clefs du triptyque auquel est consacré ce film. Bacon présente beaucoup de ses peintures sous forme de triptyque : une façon pour lui de détruire l'illustration et la narration, et de mettre en scène des personnages à la fois triviaux et symboliques. Trois personnages sont donc dans une même pièce mais sur des tableaux différents : certains empruntent leur pose à la photographie, d'autres à la statuaire classique. Que se passe-t-il ? Rien apparemment. Pourtant, Trois personnages dans une pièce met en scène un drame abstrait dont les ressorts secrets ont aujourd'hui une étrange résonance.
"La Dame à la Licorne" - ensemble de 6 tapisseries de la fin du 15ème siècle - Musée national du Moyen-Age, Hôtel de Cluny, Paris. Musée national du Moyen Age, l'Hôtel de Cluny à Paris possède une tenture composée des 6 plus fameuses tapisseries du monde. Ces images, partout reproduites et sous toutes les formes possibles, sont devenues les emblèmes d'une certaine forme de romanesque de la fin du Moyen Age. Femmes splendides vêtues de parures d'un luxe extraordinaire, animaux fabuleux, fleurs et arbres, tout dans ces tapisseries concourt au plaisir du regard. Mais une fois passé le premier émerveillement, le visiteur s'interroge. Quels sont ces blasons répétés avec tant d'obstination plusieurs fois sur chaque tapisserie ? Quelles scènes précises jouent donc ces dames hiératiques ? Pourquoi chaque fois un lion et une licorne ? Que signifient ces arbres, ces fleurs, ces diverses bestioles éparpillées sur toute la surface ? Et puis, qui a fait tisser ces splendeurs ? Et pour quel usage ? Quel artiste a dessiné les maquettes ? Quel lissier a exécuté les tapisseries ? Les questions fusent. Depuis la redécouverte de la tenture par George Sand au milieu du 19ème siècle, les hypothèses les plus diverses sont nées, des plus savantes aux plus farfelues. On peut aujourd'hui répondre à beaucoup d'interrogations. Mais pas à toutes : "La Dame à la Licorne" garde une part de mystère.
"Jaune-Rouge-Bleu" de Wassily Kandinsky -1925 - Centre Georges Pompidou, Paris. Au moment où Wassily Kandinsky peint "Jaune-Rouge-Bleu" (1925), il est professeur au Bauhaus. Le peintre applique dans son tableau les principes de couleur et de dessin analytique qu'il enseigne par ailleurs à ses étudiants et dont il fait la théorie dans plusieurs ouvrages. Les tableaux de cette époque sont très colorés et très géométriques. Les trois couleurs primaires et les figures préférées du peintre - triangle, carré, cercle - sont devenues de véritables personnages épiques. " La forme est l'expression extérieure du contenu intérieur" disait Kandinsky. Mais comment faire coïncider la subjectivité de spectateur et celle du peintre ? A-t-on besoin de connaître les codes du peintre pour comprendre un tableau abstrait ? Comment est fabriquée cette toile particulière ? Comment regarder un tel tableau ? Comment peut-on l'analyser ? L'histoire de l'art est-elle le champ où s'affrontent figuration et abstraction ? Qu'est-ce qui distingue un tableau de Kandinsky du tableau d'un autre peintre abstrait ? En fin de compte, que " représente " vraiment "Jaune-Rouge-Bleu" ? Autant de questions auxquelles tente de répondre ce vingt-sixième Palettes, qui utilise les instruments vidéographiques habituels et aboutit à des conclusions parfois très surprenantes.
Dans ce documentaire, Alain Jaubert revient sur l’histoire de Palettes, en partant de l’idée qu’il a eue en 1984 et qu’il a suivie pendant 15 ans, au fil de 50 épisodes : choisir un tableau et raconter son histoire à la façon d’une investigation policière, en offrant au spectateur une cascade de découvertes et d’explications.